Entretien avec jedna deida primé au salon du SEAFOOD/Bruxelles

 
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10-05-2010
06:23
Entretien avec Jedna DEIDA, coordinateur du REJOPRAO, primé au salon du seafood de Bruxelles.

 

«Nous devons prendre conscience que sous l’océan, il existe un autre monde » Produits de la mer : Quel est le produit de la mer que vous préférez ? Jedna Deida, REJOPRAO : La crevette, même si je n’en mange plus que dans les grands banquets. C’est en quelque sorte aujourd’hui un véritable caviar.

D’où vient votre intérêt pour les produits de la mer durables ?

C’est tout sauf le fait du hasard. Je suis né sur un port. Mon enfance a été bercée par les vagues et le va-et-vient des pêcheurs artisans. Il y avait des produits en abondance et ces produits entraient directement dans l’alimentation des populations locales.

Mais l’industrialisation galopante, l’invention de nouvelles techniques de pêche et surtout le faible aménagement des pêcheries ont oublié et délaissé ces petits producteurs qui alimentaient notre port.
C’est donc tout naturellement, après une formation de journaliste, que je me suis investi dans la défense des petits producteurs locaux et plus généralement à militer, depuis 2006, dans le cadre du réseau des journalistes pour une pêche responsable en Afrique de l’Ouest (REJOPRAO), contre la surexploitation des ressources halieutiques dans nos eaux territoriales et donc pour la préservation de la biomasse.

Comment décririez-vous votre philosophie vis-à-vis de la préservation des océans ?

Je pense qu’aujourd’hui, même si c’est encore de façon difficilement perceptible, tout le monde, décideurs politiques, industries, commerces et producteurs, se rend à l’évidence que les ressources des océans ne sont pas inépuisables, que certains stocks sont largement entamés et que finalement, ce sont des ressources partagées par l’humanité toute entière.

Un poisson pêché en Mauritanie ou en Afrique de l’Ouest, d’une manière générale, peut se retrouver dans les plats européens ou américains. Malheureusement, beaucoup sont retirés de la bouche des africains ou sont pêchés illégalement dans nos eaux.

Mais la prise de conscience de la responsabilité morale des plus nantis devrait, je l’espère, renverser cette tendance au moment où l’on révèle, dans un dernier rapport sur le pillage de nos ressources halieutiques, que plus de deux milliards de dollars sont perdus par l’Afrique en raison de la pêche INN.

Pour paraphraser un illustre chercheur, Daniel Pauly, nous devons prendre conscience que « sous l’océan, il existe un autre monde » ; un monde réglé dans ses rapports, dans son habitat, dans ses habitudes et où est venue s’incruster la main de l’homme. Après avoir brûlé les terres à la surface, l’outrecuidance de l’Homme et sa quête d’opulence l’ont plongé dans les fonds marins avec les mêmes résultats effarants.

Il transforme tout sur son passage mais pas toujours de la meilleure manière. Les océans qui pouvaient lui assurer une sorte de « grenier » n’ont pas échappé à sa folie des grandeurs. Mais en déséquilibrant cet environnement, l’Homme court manifestement le risque de creuser sa propre tombe. Les terres arables rétrécissent comme peau de chagrin, les océans sont écumés et il n’a pas trouvé d’alternative aux gisements qu’il gaspille en toute inconscience.

Comment votre philosophie a-t-elle modifié le type de poissons que vous mangez ?

 Dans nos contrées, malgré le besoin de protéines et le spectre de la famine, nous mangeons surtout ce qui n’est pas destiné à l’exportation. A la place des fruits de mer, on se contente aujourd’hui de certains pélagiques comme le chinchard ou la sardinelle… des produits dont la valeur commerciale n’aiguise pas encore les appétits. C’est relativement ce qui échappe au secteur de l’exportation dans nos pays.

Ces produits ne servent d’ailleurs que pour l’approvisionnement des marchés dans les grandes agglomérations portuaires. A l’intérieur du continent, certaines de nos régions ne peuvent même pas trouver du poisson frais pour la consommation humaine en raison de manque d’électricité, de l’éloignement et de la faiblesse du pouvoir d’achat.

Néanmoins, nous tentons de sensibiliser les décideurs politiques et même les pêcheurs artisans sur l’importance des pratiques responsables de la pêche durable. Mais tout ce combat est contredit par les accords de pêche préférentiels que nos pays tissent avec les autres regroupements.

Selon vous, pourquoi est-il important d’écrire sur le sujet de la durabilité des produits aquatiques (pêche et aquaculture) ?

La préservation des ressources halieutiques est un challenge pour les pays africains. Si l’on se félicite de l’entrée en vigueur de la directive de l’Union européenne sur la pêche INN, partenaire principal des pays africains dans le secteur de la pêche, le développement des techniques de pêche encore plus sournoises, la surexploitation des ressources halieutiques y compris des fruits de mer par le biais d’accords entre Etats continuent de léser les pêcheurs artisans qui, dans nos pays, continuent d’approvisionner les marchés locaux. Notre avenir et celui de nos générations futures en dépendent.

Je devrais même dire notre survie tient à la préservation de cette richesse naturelle. Pour nous donc, le défi est énorme alors que nos pays ne disposent pas – pour ceux qui le veulent bien - de moyens de contrôle pour protéger ces ressources.

Quoi qu’il en soit, même si la prise de conscience affichée pour les industries occidentales suite au constat sur la rareté des produits peut sembler encourageante, nous portons un regard sur la préservation des ressources dans une optique de satisfaction de nos besoins nutritionnels et alimentaires et donc dans une perspective de parer au spectre menaçant de la faim et de la famine, qui sont, malheureusement, particuliers pour notre

Continent. Mais il faudrait pour cela que les pays nantis prennent conscience de cette interdépendance et jouent le jeu en acceptant que ce n’est pas en puisant indéfiniment dans les ressources que leurs marchés s’en trouveront mieux. Le monde étant aujourd’hui un village planétaire, et comme nous a mis en garde l’éminent professeur Daniel Pauly, la ressource ne sera pas toujours là pour satisfaire nos caprices et notre cupidité mercantile.

Vos lecteurs ont-ils remarqué cette évolution autour de la durabilité des produits aquatiques?

Nos lecteurs ne le remarquent pas seulement… Ils le ressentent quand, pour griller un poisson, ils ne le trouvent plus facilement alors que survivent sur les berges des côtes censées être les plus poissonneuses au monde. Ils le ressentent encore plus parce que pour nourrir leurs familles, ce poisson abondant devient rare. Il y a comme une frustration, un sentiment d’iniquité pour ne pas dire d’injustice dans ce qu’il est convenu d’appeler le nouveau désordre mondial où les pays riches de leur industrialisation et de leur suprématie technologique imposent aux ressources des pays pauvres les effets pervers de leur rythme de consommation.

C’est un véritable paradoxe. Des pays pauvres qui soutiennent les économies développées. D’ailleurs, le sentiment largement partagé par nos lecteurs est que les pays industrialisés vivent à leur dépend.

Quelles tendances avez-vous observées au cours de ces 10 dernières années au sein de votre région ?

La tendance est claire. Il y a une surexploitation effrénée qui a eu pour conséquence un tarissement du produit halieutique lui-même. Des mesures d’aménagement par l’observation de plusieurs mois d’arrêt d’activités prouvent, si besoin était, que le cycle de régénérescence des espèces halieutiques ne coïncide pas avec l’effort de pêche engagé. La situation est donc grave car on veut toujours capturer plus de produits alors que les stocks diminuent vertigineusement et donc ne le permettent plus.

La sonnette d’alarme a été tirée par les scientifiques depuis des années dans nos différents pays mais aujourd’hui, ce sont les décideurs politiques, encouragés sans doute par la recherche de subsides budgétaires et par l’industrie dévorante, qui ferment les yeux sur cet état de fait. Cela ne peut indéfiniment continuer… Si l’Afrique s’en plaint aujourd’hui, demain ce sera certainement le tour des autres… L’humanité est en tout cas avertie que la bonne gouvernance de ces ressources reste le seul rempart contre leur épuisement total et définitif.

Le Réseau des journalistes pour une pêche responsable en Afrique de l'Ouest (REJOPRAO) - Seafood Champion 2010.

Le Réseau des journalistes pour une pêche responsable (REJOPRAO) est une organisation de journalistes d’Afrique de l’Ouest dont l’objectif est de sensibiliser l’opinion publique, les décideurs et les acteurs du secteur de la pêche sur l’importance de la gestion et de l’exploitation durables des ressources halieutiques et des écosystèmes.

Ce travail s’effectue par le biais d’enquêtes, de reportages sur les enjeux d’une pêche durable et équitable, notamment au niveau des communautés côtières de pêche artisanale, dont la voix n’est pas souvent entendue. REJORAO publie, diffuse et échange des informations avec des partenaires soucieux des mêmes objectifs de bonnes pratiques de pêche, notamment en ce qui concerne les relations de pêche entre les pays d’Afrique de l’Ouest et l’Union européenne. Pour le REJOPRAO, l’information, la transparence et l’organisation d’un débat public sont des éléments incontournables d’une pêche durable.

Le Réseau des journalistes pour une pêche responsable en Afrique de l'Ouest (REJOPRAO) a reçu le prix Seafood Champion 2010 au Salon européen des produits de la mer de Bruxelles.
 

Toute reprise d'article ou extrait d'article devra inclure une référence www.cridem.org
 
Source :
Alliance Produit de la Mer

 



28/12/2010

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