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Les petits pélagiques : une ressource stratégique pour l'Afrique

Une entrevue avec El Hadj Dao Gaye à la suite du Forum social mondial à Dakar

Pêcheur artisan depuis plus de 40 ans, El Hadj Dao Gaye représente l'ensemble du secteur de la pêche au sein du Conseil de la République du Sénégal. Lors du Forum social mondial, tenu à Dakar en février 2011, il a été, au sein de la Confédération africaine des professionnels de la pêche artisanale, l'un des initiateurs d'une rencontre sur la contribution de la pêche, en particulier la pêche aux petits pélagiques, à la sécurité alimentaire en Afrique.

Q : Il y a quelques mois, l'Assemblée des Nations unies a soutenu une proposition, initiée par l'UE et soutenue par les États africains, visant à étudier l'état d'exploitation des stocks de poisson à la base de la chaîne alimentaire, comme les petits pélagiques. Ces stocks auraient-ils aujourd'hui acquis une importance particulière ?

Dans le contexte de crise économique actuel qui touche durement les pays africains, les petits pélagiques ont une importance stratégique. Les sardinelles, en particulier, fournissent des protéines à bas prix aux groupes les plus défavorisés de la population. Les petits pélagiques jouent véritablement un rôle de 'filet de sécurité alimentaire'.

Dans le cas de l'Afrique de l'Ouest, que je connais bien, ce sont essentiellement les captures de la pêche artisanale qui alimentent la transformation et le commerce régional de poisson braisé, fumé, salé ou séché, bien que dans certains pays, comme le Ghana ou le Nigeria, les captures de la pêche industrielle européenne approvisionnent aussi le marché local de manière importante.

Pour ce qui est de la pêche artisanale des petits pélagiques, il faut aussi remarquer que la division du travail est assez poussée. Vu le faible investissement de départ, un grand nombre de personnes sont impliquées, du pêcheur à la transformatrice, à la revendeuse au détail, pour qui les petits pélagiques sont le gagne-pain. L'exploitation des petits pélagiques est donc un enjeu stratégique pour nos pays, en termes de création d'emplois pour des gens qui ont peu de sources alternatives de revenus.

Q : Les petits pélagiques sont des stocks migrateurs, et donc partagés par plusieurs pays. De quelle manière cette dimension est-elle prise en compte dans l'exploitation des petits pélagiques ?

Personnellement, je peux vous citer l'exemple de l'accord de pêche entre le Sénégal et la Mauritanie qui, depuis de nombreuses années, permet à une flotte sénégalaise d'obtenir près de 300 licences de pêche aux petits pélagiques dans les eaux mauritaniennes.

En parallèle des négociations entre les gouvernements, depuis 2008, les professionnels de la pêche artisanale du Sénégal et de la Mauritanie ont noué un partenariat visant à promouvoir une exploitation artisanale durable des petits pélagiques.

Le rôle des professionnels, reconnu par nos gouvernements respectifs, est de faciliter les négociations, l'exécution et le suivi du protocole d'accord de pêche liant les deux pays. Ces efforts ont conduit notamment à la mise sur pied d'une commission mixte professionnelle qui fait un bilan régulier par rapport à la mise en œuvre de l'accord, notamment au niveau des débarquements obligatoires et au niveau de la commercialisation des produits, et discute des améliorations à apporter. Les améliorations à apporter passent surtout par le développement d'une activité économique et d'infrastructures appropriées liées aux débarquements et à une meilleure valorisation du produit, qui permettent un transport plus rapide et aisé des captures vers leur marchés de destination, parfois situés en dehors de la Mauritanie, et aussi pour éviter les pertes après capture.

Quoiqu'il en soit, les professionnels mauritaniens et sénégalais participent maintenant aux négociations pour le renouvellement des protocoles successifs d'accord de pêche, ce qui est une grande avancée.

Nous avons aussi identifié d'autres situations dans la région, en Guinée notamment, où des flottes sénégalaises pêchent les petits pélagiques et où il y a une forte demande de petits pélagiques pour le marché local. Sur base de notre expérience entre le Sénégal et la Mauritanie, nous pourrions imaginer d'autres accords avec ces pays, qui permettent de répondre aux préoccupations tant des pêcheurs que des consommateurs.

A long terme, nos pays devraient aller vers des accords visant non seulement à réguler l'accès de flottes d'un pays aux ressources qui se trouvent dans un autre pays, mais surtout à aménager de façon concertée ces pêcheries, en prenant en compte les aspects environnementaux, pour empêcher la surexploitation des ressources, mais aussi les aspects d'approvisionnement des marchés locaux et régionaux.

Q : La concertation pour l'aménagement des pêcheries entre pays côtiers et pays pêcheurs est aussi au centre des partenariats de pêche avec l'UE, qui permettent notamment, dans le cadre des accords avec la Mauritanie et le Maroc, l'exploitation des petits pélagiques. Quelle expérience en avez-vous ?

Les flottes des pays industrialisés qui exploitent les petits pélagiques dans la région sont presque toutes composées du même genre de bateaux : des chalutiers usines - certains font plus de 120 m de longueur.

Les chalutiers européens, qui pêchent les petits pélagiques en Mauritanie, font des prises accessoires importantes, y compris de requins et de raies, de tortues de mer, ainsi que des quantités importantes de prises accessoires de poissons démersaux. Ceci est vraiment un aspect dont il faut tenir compte si on veut parler de partenariat pour une pêche durable avec l'Union européenne.

Mais plus généralement, il faut que nous puissions avoir une idée claire de quelles flottes pêchent dans nos eaux et quelles quantités elles pêchent, pour être sûrs que cela ne va pas mener à la surexploitation de ces ressources. Et là, ce n'est pas que l'Union européenne qui est concernée, mais aussi d'autres pays comme la Chine ou la Russie.

Q : Estimez-vous qu'il y a un manque d'informations sur les quantités de petits pélagiques pêchés ?

Vous savez, parfois, on n'a même aucune information sur l'identité des flottes qui pêchent. Il y a quelques mois, par exemple, cinq navires usines russes étaient au large des eaux sénégalaises pour l'exploitation des sardinelles, avec des licences qui leur avaient été octroyées de manière peu transparente.

Les professionnels sénégalais, tant les industriels du GAIPES que les artisans du CONIPAS, ont tiré la sonnette d'alarme par rapport à ces navires qui sont interdits par la législation sénégalaise, ce qui a contribué à résoudre le problème.

En Mauritanie, dans les derniers mois, plusieurs grands chalutiers usines chinois ont aussi fait leur apparition, pêchant pour produire de la farine de poisson.

Même au niveau de la pêche artisanale, les captures sont probablement sous estimées, ce qui peut pousser à penser qu'il existe des surplus pouvant être pêchés par des flottes étrangères plus importants qu'ils ne le sont en réalité.

Dans son ensemble, la pêche en Afrique de l'Ouest a donc des craintes par rapport aux niveaux d'exploitation actuels des petits pélagiques. Ce qu'il nous faut aujourd'hui, c'est l'application de limites claires en matière de captures de petits pélagiques, et aussi l'application de conditions claires d'accès. J'ai déjà parlé des problèmes des captures accessoires existant avec les chalutiers usines étrangers, dans un objectif de promotion de la pêche durable, on pourrait par exemple faire en sorte de donner un accès en priorité à ceux qui utilisent des engins de pêche sélectifs.

Il me semble aussi, du fait de l'importance des petits pélagiques pour la sécurité alimentaire, qu'on ne devrait pas traiter de la même manière une pêche qui est destinée à la consommation humaine, et une pêche qui est destinée à faire de la farine de poisson pour nourrir le bétail, surtout quand il peut y avoir compétition entre ces deux types d'exploitation.

Q : Mais la production d'aliments pour l'aquaculture en Afrique, n'est-elle pas une condition importante pour le développement de l'aquaculture locale, ce qui est promu par des organismes comme le NEPAD ou la FAO, etc. ?

Effectivement, il y a aujourd'hui une nécessité de développer l'aquaculture, mais avant tout dans une perspective de sécurité alimentaire pour les populations africaines. Dans de nombreux pays africains, nous avons des conditions naturelles propices au développement de l'aquaculture : un grand nombre de lacs, de fleuves, des bassins de rétention… Nous avons aussi des sous produits agricoles et de pêche qui pourraient servir d'aliment pour les poissons d'aquaculture : déchets de poisson, son de riz, tourteau d'arachide, etc.

Ceci dit, ce n'est pas une solution de développer une aquaculture s'appuyant, pour l'alimentation des espèces cultivées, sur l'exploitation des stocks sauvages de petits pélagiques qui montrent des signes de surexploitation et qui, eux-mêmes, sont un élément central permettant d'assurer cette sécurité alimentaire.

Ceci est encore plus vrai si l'on considère qu'il faut en moyenne quatre kilos de poissons sauvages, réduits en farine, pour faire un kilo de poisson d'élevage. Ce serait vraiment un mauvais calcul de s'engager dans cette voie.

Ce qu'il nous faut, c'est une aquaculture basée sur des espèces qui ne demandent pas une nourriture à base de poissons sauvages, qui soit adaptée aux demandes des marchés locaux et régionaux, et qui ne soit pas basée sur une exploitation non durable de nos stocks de petits pélagiques.

Agritrade Fisheries News Update – March 2011
source courier le cape/belgique


17/03/2011

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