Politique peche ;RIM/UE,debarquement capture en RIM

Les producteurs ACP devraient cibler les marchés européens traditionnels et de la consommation ‘hors domicile’


Entretien avec Jean Michel Le Ry, directeur du bureau Sobretah [1]. JM Le Ry a effectué des missions pour divers organismes (FAO, CDE, Veritas, etc), dans les pays ACP (Fiji, Seychelles, Sénégal, Mauritanie, Cap vert, etc.) pour l’amélioration des conditions de commercialisation des producteurs du secteur de la pêche.

Q. De nombreux pays ACP, en particulier les pays qui ont des ressources thonières, veulent aujourd’hui retirer plus de bénéfices de ces ressources halieutiques. En termes de commercialisation, est-ce que cela passe par un changement au niveau du traitement des captures?

C’est vrai qu’en mettant le thon en boîte, on banalise le produit, on ne le valorise pas. Ceci dit, ce n’est pas simple de changer et de passer, par exemple, de la conserve de thon à la longe de thon. Certains pays, comme Fiji, ont tenté ce changement, en se lançant dans la production de longes de thon pour la restauration. On a eu aussi des occasions manquées, comme au Sénégal, où il y a une flotte, en régression, de canneurs basques qui pêchent un thon de haute qualité: thon pêché à la canne, bateaux qui font des marées courtes, permettant de préserver la fraîcheur du produit.

Mais les acheteurs locaux offraient le même prix pour ce thon que pour le thon congelé de moindre qualité, puisque le tout était destiné à la conserve. Il y a eu un projet à Dakar pour faire des longes de thon, en frais, à partir des captures de ces canneurs, à destination du marché européen tout proche, mais cela ne s’est pas concrétisé.

Q. Vous dites que ce n’est pas simple de passer de la conserve de thon à la production de longes. Qu’est ce que ça nécessite?

Au niveau des infrastructures, l’aspect positif, c’est que quand on a une conserverie, on a déjà pas mal de matériel lourd. Pour faire des longes, il faut en outre un hall climatisé, des chambres froides, de la glace, une pompe sous vide pour l’emballage, etc, mais ce n’est pas trop compliqué.

Le plus important et le plus difficile à réaliser, c’est le saut de qualité au niveau des compétences professionnelles du personnel: pour le thon en conserve, les compétences professionnelles à avoir sont limitées – les manipulations sont simples; les conserves de thon sont stérilisées à haute température, donc l’attention à avoir en matière d’hygiène est limitée. Lorsqu’on passe à la production de longes, il faut non seulement que le personnel acquière un savoir faire technique (enlever les arêtes, etc) mais surtout qu’il accorde une attention minutieuse à l’hygiène tout au long de la chaîne de production. Un grand défi pour les pays ACP en la matière, c’est celui là: investir dans la formation du personnel, au niveau de la qualité et de l’hygiène.

Un autre défi, c’est de vérifier l’existence d’un marché…

Q. Pour les produits à plus haute valeur ajoutée, comme le cas de la longe de thon, quelles sont les caractéristiques de ce marché?

Aujourd’hui, on trouve deux grands marchés: le marché japonais, pour lequel on fait des longes surgelées très rapidement à très basse température. L’avantage de ce genre de congélation, c’est qu’elle conserve intactes les cellules de la chair du thon, qu’on peut dès lors consommer frais une fois dégelé. Aujourd’hui, ce sont surtout des flottes coréennes et des philippines qui approvisionnent ce marché, où cette congélation se fait à bord. Mais on trouve des cas, comme à Fiji ou en Polynésie, où une flotte de petits palangriers locaux faisant des marées très courtes, utilise ce procédé de surgélation dans des usines à terre.

L’intérêt aussi de ce genre de produit, c’est qu’on peut le transporter facilement par bateaux, donc on gagne en frais de transport par rapport à l’avion, et aussi on produit moins de CO2, ce qui peut être valorisé au niveau de l’empreinte carbone. C’est un modèle qui mériterait d’être exploré par les pays ACP du Pacifique ou de l’Océan indien.

L’autre marché important des longes, c’est le marché du frais pour l’UE et les USA. Là aussi, c’est un produit de haute qualité, destiné à la restauration. Les restaurants de haut de gamme, ce qu’ils demandent, ce sont des longes de thon prêtes à cuire, d’un kilo, un kilo et demi - ça ressemble à un beau filet de boeuf. Là, je vous ai mentionné le projet des canneurs basques au Sénégal, qui n’a pas abouti, mais dont le principe reste intéressant pour ce genre de marchés.

Q. Vous parlez du marché de la restauration. Mais, en Europe, ce sont surtout les supermarchés qui assurent l’essentiel de la commercialisation, non?

Détrompez-vous! En Europe, le marché de ce qu’on appelle la ‘consommation hors domicile’, - le poisson qu’on mange au restaurant, dans les cafeterias-, représente 30% du marché global des produits de la mer. C’est vrai qu’un peu plus de 70% de la consommation de ces produits se fait au domicile: c’est le poisson qu’on achète dans les supermarchés, - globalement, ils représentent 50% du marché global européen-, ou à la poissonnerie et autres marchés traditionnels au détail, qui représentent 20% des ventes.

C’est un peu comme un iceberg: la grande distribution, qui représente 50% du marché, avec un nombre limité d’acteurs puissants, parle d’une seule voix. Du coup, on ne voit qu’elle. Les marchés de la consommation hors domicile (restaurants, etc) et les marchés traditionnels, même s’ils représentent aussi 50% du marché, sont plus dispersés. Du coup, ils sont invisibles. Pourtant, c’est là que se trouvent, à mon sens, les plus grandes opportunités pour les pays ACP. Surtout dans un contexte où les ressources halieutiques ACP de grande valeur commerciale sont surexploitées et où, pour augmenter les retombées économiques de la pêche, il faudra arriver à un système de production où on pêche moins, tout en gagnant plus.

Q. Vous estimez donc que la politique des supermarchés, en matière de produits de la pêche, reste d’avoir le prix le plus bas?

Le consommateur qui achète le poisson dans un supermarché n’a que peu de capacité de discernement: au niveau des espèces, des tailles, de l’origine – ce qui influence fortement son achat, c’est le prix. Je vais vous citer une enquête consommateur récente en Europe, où on demande au consommateur qui entre dans le supermarché quel poisson il veut acheter – il veut acheter du poisson de qualité, - du bar pêché à la ligne, par exemple. Or, si on regarde ce qu’il a acheté à la sortie, c’est du saumon d’aquaculture. Parce que c’est moins cher et parce que c’est mis en avant par le supermarché, qui, en ces temps de crise, veut renforcer son image de fournisseur à prix bas. Le supermarché, c’est un système où le vendeur n’est pas un conseilleur – le consommateur doit se débrouiller tout seul. Et comme il n’a pas de discernement, il achète au moins cher et les produits qui sont mis en avant.

Aujourd’hui, il faut que les pays ACP réalisent que les marchés européens faciles d’accès sont pris: ce sont des marchés qui sont intéressés par les grosses quantités, la régularité de l’approvisionnement, les coûts bas – ceux qui les ont pris, ce sont des produits comme le pangasius du Vietnam, le saumon d’aquaculture norvégien.

Bien sûr, certains supermarchés, pour des questions d’image, vont mettre quelques beaux produits dans leur rayon, ‘pour la décoration’, mais ce n’est pas là-dessus qu’ils feront leurs chiffres d’affaires.

Q. Et si les pays ACP veulent se tourner vers ce marché de la consommation hors domicile, où devront-ils chercher les acheteurs?

On peut se tourner vers le circuit des grossistes importateurs, dans les marchés traditionnels: Rungis à Paris, Billingsgate à Londres, le marché de New York, etc

Pour ces marchés, ce qui importe, c’est la qualité, la fraîcheur, la diversité des produits, l’exotisme lié à ces produits, sans doute un peu moins le volume.

Cependant, le grossiste importateur est une courroie de transmission mais aussi un écran – il empêche le contact direct entre le vendeur et l’acheteur. Les grossistes ne sont pas les relais idéaux pour communiquer les qualités du produit auprès des restaurateurs, par exemple. Aujourd’hui, il existe aussi de plus en plus de centrales d’achat pour les restaurants, comme Métro, le plus connu en Europe.

Q. Que penser d’autres initiatives visant à améliorer les retombées économiques de la pêche pour les pays ACP comme celle, récente, des parties de l’accord de Nauru dans le Pacifique, qui souhaitent faire éco-labelliser le skipjack pêché par des senneurs n’utilisant pas de DCP (dispositifs de concentration de poisson)?

Si le but recherché est d’améliorer le prix de vente du produit, cette initiative en particulier me laisse assez sceptique. D’un côté, il est important que les pays qui font des efforts en matière de gestion durable des ressources le fassent savoir au consommateur, c’est un fait, et on ne peut qu’encourager les efforts dans ce sens.

Mais on a ici un poisson, le skipjack, dont la qualité intrinsèque n’est pas bonne: c’est un thon dont la chair est très fibreuse, sèche, pas facile à manger. D’ailleurs, les conserves de skipjack sont le plus souvent des miettes de poisson dans l’huile – ça le rend moins sec et plus facile à avaler. Donc, on a un poisson de bas de gamme, et ce qui importe pour les consommateurs de skipjack, c’est le prix. Alors, mettre un écolabel sur ce type de produit dans l’espoir d’améliorer les revenus tirés de cette pêcherie, à mon avis, c’est un pari très risqué.

Ceci dit, cet exemple montre bien l’importance, pour les pays ACP qui veulent améliorer les retombées de leurs ressources de pêche, de lancer deux politiques: une politique visant à produire dans des conditions environnementales, sociales et économiques durables – pêche sélective, prix équitable, etc-, et une autre politique de communication et de promotion des caractéristiques de leurs produits qui peuvent intéresser les marchés de niche, comme celui de la consommation hors domicile en Europe.

Q. Qu’en est-il de la situation actuelle en matière de commercialisation au niveau des pays ACP?

Ce qui m’a frappé dans la plupart des pays ACP que je connais, c’est le manque de démarche structurée et d’organisation de commercialisation au niveau des producteurs. Or, chaque fois que des producteurs, comme les producteurs de poisson ACP, s’intéressent à un marché qui s’est structuré sans eux, la première chose qu’ils doivent faire c’est se regrouper. Pour se coordonner par rapport aux acheteurs, pour déterminer les standards de qualité de leurs produits, pour pouvoir aussi rassembler un volume suffisant et assurer une certaine régularité des livraisons, mais aussi pour mieux se faire entendre auprès des décideurs.

Je peux vous citer l’expérience de la Guinée Conakry où, il y a quelques années, il y a avait six exportateurs locaux qui proposaient le même produits aux acheteurs européens et n’avaient aucune concertation entre eux. Les acheteurs contactés individuellement par ces six exportateurs pouvaient facilement faire jouer la concurrence et avoir les prix les plus bas. Personne au niveau de la Guinée n’y a vraiment gagné.

De façon générale, si les producteurs n’arrivent pas à se faire entendre suffisamment dans ce domaine, à un certain moment, il devient difficile de maximiser les bénéfices tirés du secteur. On peut prendre l’exemple de la Mauritanie, où une société d’état, la SMCP, organise la commercialisation du poulpe congelé, et fait ça très bien. Le poulpe congelé, c’est un circuit de commercialisation assez simple, avec quelques acheteurs, un produit unique, avec huit tailles différentes, et ce système de commercialisation étatique à permis d’amener une plus grande transparence dans les transactions, au bénéfice de tous.

Mais des difficultés se posent aujourd’hui que la SMCP a aussi le monopole de la commercialisation du poisson à écailles, où on a une grande variété d’espèces, de tailles, de qualités. Or, cette très haute variété des produits ne transparaît pas assez dans le système utilisé par la SMCP, qui n’avait géré par le passé qu’un circuit beaucoup plus simple, celui du poulpe. Donc, la SMCP impose le prix du poisson congelé à des acheteurs étrangers, qui ne connaissent pas la qualité exacte de ce qu’ils achètent…. Cela crée des réticences au niveau des acheteurs et contribue à dévaluer des espèces de très haute qualité comme les dorades.

Cela a aussi mené au développement de circuits parallèles où du poisson de Mauritanie part vers le Sénégal ou le Maroc, est déconditionné puis reconditionné comme produit marocain ou sénégalais pour être vendu en Europe. Evidemment, avec le coût du transport et le temps de transport, qui affecte la qualité du poisson, le prix qu’obtient le pêcheur n’est pas le meilleur.

Q. Pour ce qui est de la Mauritanie, c’est également le pays avec lequel l’UE a l’accord de pêche le plus important. Dans ce cadre, la Mauritanie a insisté dernièrement sur le fait qu’elle souhaitait que, pour 2012, tous les débarquements de poissons pêchés dans la ZEE mauritanienne, donc y compris par les Européens, se fassent localement. Cela suppose que les difficultés liées au traitement des captures soient dépassées?

Il est certain que les difficultés au niveau de la commercialisation sont des arguments dont ne vont pas manquer de se servir les opérateurs européens pour échapper à leurs obligations de débarquement – manque d’infrastructures, de chambres froides, manque de personnel qualifié, etc.

Il ne faut pas oublier non plus la présence toute proche du port de Las palmas. Ce port est très attirant aux yeux des pêcheurs européens et des autres armements industriels, en particulier car les infrastructures y sont bonnes mais aussi parce que les Iles canaries, une zone ultra périphérique européenne, bénéficient de conditions de commercialisation attrayantes. Lors d’un séminaire à las Palmas auquel j’ai assisté le mois dernier, un représentant de la Chambre du Commerce des Canaries à insisté sur ce statut particulier qu’à Las palmas, qu’on pourrait comparer à un port franc, et compte bien conserver.

Cela signifie que pour les pays de la région, comme la Mauritanie, il faudra être plus attrayant que Las Palmas, c’est vraiment un défi énorme à relever. Dans la cas de la Mauritanie comme envers ces autres partenaires, il faut que l’appui de l’Union européenne à la Mauritanie prenne en compte ces dynamiques liées à la commercialisation et à la nécessité d’appuyer l’organisation des producteurs locaux.

[1]Société bretonne d’études et d’applications halieutiques

SOURCE ARTICLE:

Agritrade Fisheries News Update - April 2010


10/05/2010

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